dimanche 13 mars 2011

Comment en est-on arrivés là ? Partie 2 (2005 - 2011)

Après l'assassinat de Rafic Hariri et celui de plusieurs personnalités notoirement anti-syriennes, hommes politiques comme intellectuels (comme ce fut le cas du journaliste Samir Kassir), le mouvement – alors d'opposition – du « 14 mars » se structura autour de plusieurs partis politiques (le Courant du Futur de Hariri, les Forces Libanaises et les Kataëb, le Parti Socialiste Progressiste de Walid Joumblatt, entre autres) et de la manifestation de protestation organisée un mois après la mort du leader sunnite. Cette manifestation fut le temps le plus fort de ce que les journalistes se mirent rapidement à appeler la Révolution du Cèdre, et faisait office de réponse à une autre manifestation, de soutien à la présence syrienne quant à elle, organisée le 8 mars 2005 à l'initiative du Hezbollah essentiellement.


La popularité au niveau international de la Révolution du Cèdre tient également de la conjoncture internationale du moment : la Syrie faisant officiellement partie de « l'axe du Mal » défini par le président Bush junior, s'y opposer garantissait la sympathie de la majorité des occidentaux. De plus, comme l'explique Michael Young dans The ghosts of Martyrs Square, une révolution démocratisante au Liban servait la doctrine américaine en lui offrant un exemple concret de la réussite de son projet de démocratisation par la force du Moyen Orient (même si la révolution du Cèdre n'avait que peu de liens avec les actions américaines dans la zone, précise Young, si ce n'est que la Syrie avait été affaiblie et était menacée militairement).

La réussite de la Révolution du Cèdre et le départ des troupes syriennes du pays marquaient pour le Liban une nouvelle période, marquée par l'enterrement de Rafic Hariri. En effet, à la demande de la nouvelle majorité (le pouvoir étant passé aux mains de la coalition du 14 mars à l'occasion des élections de juin 2005), est lancée sous l'égide des Nations Unies la création du Tribunal Spécial pour le Liban, qui agite désormais la scène politique libanaise. Ce tribunal a une particularité en ce qu'il est le premier tribunal pénal international à juger des crimes terroristes.

A cette situation nouvelle s'ajoute un événement important quant à la place que tient le Hezbollah dans la scène politique libanaise. Le Hezbollah s'est créé en 1982 d'une scission avec le parti politique / milice Amal (regroupant essentiellement des musulmans chiites sans avoir a priori d'ambitions communautaires). Il s'est structuré autour d'un point prépondérant dans son action politique : la résistance à l'occupation israélienne au Sud-Liban. Même après le départ des troupes israéliennes en 2000, le Hezbollah se focalisa sur la question des hameaux de Chebaa, point géographique revendiqué par Israël mais considéré comme libanais par le Hezbollah, pour continuer sa lutte. Or, le Hezbollah avait été enjoint par la résolution 1559 de désarmer et se trouvait dans une situation compliquée après la victoire du 14 mars en 2005. L'invasion israélienne de 2006, prétextant l'enlèvement de deux soldats et visant à détruire la milice redonnerait à celle-ci un blason avantageux. En effet, les miliciens du Hezbollah réussirent à repousser les troupes israéliennes, dont l'objectif variait avec le temps : « Lors de l'opération terrestre et face à l'âpreté des combats qui empêchèrent l'armée israélienne de progresser au delà de Bint Jbeil, les stratèges se ravisèrent et (…) déclarèrent qu'il s'agissait dès lors d'affaiblir (et non plus d'éradiquer) le Hezbollah » (Daniel Meier).

De cet affrontement, le Hezbollah sortit avec une image de protecteur du pays : là où l'armée libanaise avait échoué à repousser les troupes du « voisin du Sud », il réussissait. A l'occasion de discussions avec des libanais, on peut occasionnellement entendre ce raisonnement : « Je suis pour le désarmement des milices, mais si le Hezbollah désarme, le Liban est foutu ».


La montée en puissance du Hezbollah fut marquée par un autre point nodal qu'est le « coup de force » de 2008. Le gouvernement ayant tenté de couper ses réseaux de communication, le « parti de Dieu » répondit en prenant les armes et la capitale sans cependant faire de coup d'Etat (alors qu'il en aurait été capable). Le message peut être interprété comme suit : on vous protège, mais laissez-nous faire les choses à notre manière.

Bien qu'il n'y a pas de renversement du régime, le gouvernement tombe tout de même, les ministres du 8 mars démissionnant, et le pays entre dans une crise gouvernementale. Cette crise se résout par l'entente de Doha organisée par l'Etat du Qatar. Cette entente renouvelle le Pacte National sur lequel est basé le système libanais en proposant un gouvernement d'union nationale et en entérinant l'existence d'une « minorité de blocage » permettant à la minorité de renverser un gouvernement en cas de crise politique majeure.

Cette minorité est alors celle de la coalition du 8 mars composée principalement du Hezbollah, de Amal et du Courant Patriotique Libre, mouvement du général Aoun, principalement maronite et rejeté par la coalition du 14 mars. Les deux coalitions ne sont alors plus définies par leurs relations avec la Syrie mais par leur point de vue sur le TSL, le 14 mars militant pour le maintien du Tribunal, le 8 mars le considérant comme politisé et illégitime. C'est sur ce point précis que la rupture de 2011 a eu lieu. En effet, l'échéance de la publication de l'acte d'accusation approchant, les ministres du 8 mars, rejointes par ceux du PSP de Joumblatt, ont mis en pratique la possibilité d'exercer une minorité de blocage définie au moment de l'entente de Doha.


C'est ce qui nous conduit à la situation actuelle, très schématiquement. La chute du gouvernement de Saad Hariri a conduit à la sélection par le président de la République du candidat soutenu par la coalition du 8 mars, M. Mikati, qui se présente comme un premier ministre consensuel malgré ses anciennes accointances syriennes. Les enjeux sont nombreux et il ne faut pas penser que l'entièreté de la vie politique libanaise se centre sur des questions d'équilibres communautaires ou sur la question du TSL. Parallèlement, les manifestations dans le monde arabe peuvent peut être donner des idées au peuple libanais, qui jusqu'ici était le pays arabe « le plus démocratique » sans pour autant connaître un régime purement démocratique en raison du confessionnalisme et du système notabiliaire (qui d'un point de vue théorique n'est pas démocratique puisque les choix y sont largement prédéterminés). Ainsi, plusieurs manifestations contre le système soncociatif ont eu lieu depuis un mois, posant une question récurrente dans le pays à ses élites.

Comme le résume une caricature en circulation sur Facebook depuis quelques jours : « Si tous les Etats arabes deviennent des démocraties, on aura l'air bien con ».


PS : Je remercie de nouveau les personnes qui m'ont expliqué tout ce fatras, je m'excuse pour le délai entre cette partie et la première.

PS2 : N'oubliez pas que cet article n'est pas exhaustif et ne doit pas être pris comme parole d'évangile.

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