jeudi 30 décembre 2010

Bye Bye Babylone

imagerepository.ashx.jpg On ne parle pas de la guerre du Liban. Déjà parce que c'est une histoire compliquée et que le public n'aime pas ce qui est compliqué. On aime les histoires avec un gentil gentil, glabre, beau et démocrate, et un méchant méchant, barbu, laid et tyrannique. Quand ça va plus loin que ça, on parle de politiquement correct et on réduit. On n'en parle pas, également, parce qu'il n'y a pas une histoire de la guerre du Liban. L'Histoire majuscule n'a pas été fixée, elle est encore en débats entre les belligérants. L'Histoire majuscule, ce n'est pas la vérité (au mieux une Vérité tout aussi majuscule), c'est la mémoire imposée, celle dans laquelle le gentil est beau et démocrate et le méchant laid et tyrannique.

Le livre de Lamia Ziadé ne vise pas à établir ce genre d'Histoire.

Cet ouvrage présente plusieurs avantages majeurs : il mesure 25,5 cm de haut pour 14,8 cm de large et 2,8 cm d'épaisseur. Sa couverture est en velin cartonné, ce qui rend sa tenue particulièrement agréable. Il pèse un poids suffisamment lourd sans pour autant provoquer de crampes après une heure de lecture. Ses pages sont agencées de manière extrêmement astucieuse de façon à ce que la première page qu'on lit soit également la première page du livre, et ainsi de suite jusqu'à la dernière. Sa lecture est donc extrêmement intuitive. Le livre est ponctué d'assez belles illustrations en aquarelle, qui permettent de rajouter des images sur les termes employés par l'auteure. Et le tout pour seulement 25 euros, c'est à dire seulement la moitié de la valeur de l'application "Papier toilette" sur IPhone (celle qui permet de dérouler un petit rouleau de papier toilette sur son écran). C'est dire si on ne se fout pas de votre gueule, ma bonne dame.

L'auteure jette dans son livre, presque de façon aléatoire, la guerre telle qu'elle l'a vécue. On trouve, certes, dans ses pages, de grands noms, mais qui semblent lointains, à l'image des abstractions à prétention humaine qu'ils désignent. C'est une petite histoire de la guerre du Liban, de 1975 à 1979 (parce que c'était trop dur d'écrire à partir de 80). Cette petite histoire nous désigne d'un même ton les bombardements, les assassinats, les massacres et les bonbons achetés à Spinney's. Ce n'est ni une leçon de morale, ni une leçon de mémoire. Ce n'est qu'un témoignage qu'on reçoit gratuitement, et qui ne cherche pas à trouver un gentil ou un méchant, dans une guerre où chaque combattant, chaque civil, est à la fois bourreau et victime. Ce n'est certainement pas un livre pour ceux qui cherchent à comprendre, ou pour ceux qui voudraient expliquer, mais un beau livre pour ceux qui cherchent à savoir.

C'est vraiment du bon boulot, madame Ziadé.

Milaad Majid (paraît que c'est comme ça qu'on dit)

Je vous souhaite à tous de bonnes fêtes de fin d'année, Noël et toutes les autres célébrations qui arrivent en ces temps neigeux, de goutte au nez et de bas en chaude toile. J'espère que vos régimes fondront et que le gras vous submergera tous comme cela doit être.

Trève de plaisanterie, vous avez été extrêmement nombreux à visiter mon blog depuis sa création (en moyenne 500 par mois, ce qui est énorme). Je vous remercie de votre intérêt. Je constate qu'un certain nombre d'entre vous vient de Google, ce qui est encore plus flatteur. Je constate aussi qu'une bonne partie a recherché dans google : "Si vous avez compris le Liban, c'est qu'on vous l'a mal expliqué", ce qui pourrait devenir la devise de ce blog.

En bref, merci beaucoup à vous. Si jamais vous voulez que j'écrive sur un sujet en particulier ou que je mette en ligne un article écrit par vos soins, n'hésitez pas à me le proposer.

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Complexité palestinienne

Le Liban est, parmi les pays arabes, celui qui a accueilli après la Nakba le plus grand nombre de réfugiés palestiniens. C'est également probablement le pays arabe le moins propice à une immigration massive (tout court) de palestiniens (en particulier). Je me suis demandé pourquoi les libanais refusaient la naturalisation à tous ces réfugiés, dont on sait que le retour en Palestine serait difficile voire impossible (je ne cherche pas à dire ce qui serait souhaitable, rappelez-vous que je ne fais que mettre en lumière certains points à partir des maigres connaissances qui sont les miennes).

Le système politique au Liban est, vous vous en souvenez, basé sur le système communautaire. Ce système a l'avantage d'être efficace en cas d'équilibre entre les communautés, ce qui permet d'éviter une domination totale d'une d'entre elles, comme c'est le cas dans d'autres pays arabes. Depuis les accords de Taëf, on considère que les chrétiens et les musulmans sont à peu près présents à égalité dans le pays, mais aucune des communautés officielles ne détient de majorité absolue (ce qui peut provoquer des lenteurs, mais c'est le prix de la démocratie).

Imaginons maintenant que les réfugiés palestiniens obtiennent la nationalité libanaise, ou le droit de vote. Ces réfugiés sont à 90% sunnites, d'une part, et extrêmement nombreux d'autre part (ils sont estimés à 400 000 en tout, pour une population libanaise de 4 millions à peu près). L'arrivée massive de sunnites provoquerait donc un déséquilibre du système au profit d'une des communautés qui deviendrait dès lors majoritaire au Liban (alors que jusque là le principe était qu'il n'y avait que des minorités au Liban). Dans un pays comme la France, l'existence d'une communauté majoritaire ne poserait en fait pas tellement de problèmes. En effet, le champ politique y est structuré en termes de familles toutes plus ou moins areligieuses (si l'on fait l'exception de certains partis comme les chrétiens démocrates ou des mouvements d'extrême-droite). Mais au Liban, les partis sont confessionels. On peut le regretter ou s'en réjouir, mais c'est un fait. L'exemple de partis à vocation non-confessionelle comme le Parti Socialiste Progressiste de monsieur Kamal Joumblatt ou le mouvement Amal de Moussa Sader seraient des exemples de cette "prédestination" des mouvements politiques au Liban. En effet, chacun de ces partis fut créé sans ambitions communautaires, voire contre le communautarisme, mais est devenu le porte parole d'une communauté (druze pour le PSPS, chiite pour Amal).

Dès lors, une politique nationale au Liban n'est envisageable dans le système actuel que si les confessions sont toutes des minorités (il en serait de même si les maronites, les druzes ou les chiites devenaient majoritaires, il n'y a pas lieu ici de juger d'une soi-disant volonté hégémonique des sunnites).

D'autre part, il ne faut pas sous-estimer le poids de l'Histoire. La guerre civile libanaise de 1975 a eu lieu pour de multiples raisons, et la question palestinienne n'est pas la moindre de ces raisons. La place des résistants palestiniens au Liban (que certains considéraient comme une base arrière pour leur guerre contre l'Etat juif) et les libertés qui leur ont été laissées par certaines factions au Liban (à travers l'accord du Caire, par exemple) ont été de grosses sources de tensions qui ont conduit à la guerre civile (qui peut, de façon extrêmement schématique, être vue comme une guerre entre pro-palestiniens et nti-palestiniens, au Liban s'entend). Si des morts ont eu lieu dans les deux camps (dont le deuil est loin d'être fait), on peut comprendre que les militants de l'ancien bloc anti-palestiniens soient plus que froids à l'idée de faire des palestiniens leurs compatriotes.

Du côté palestinien (les propos à venir doivent être pris avec précaution, étant donné que je ne prétends pas connaître la volonté des palestiniens), le principe du droit au retour comme "mythe fondateur" garde un poids certain. En effet, si j'en crois ce que l'on m'en a raconté, on croise encore des palestiniens ayant vécu la Nakba et qui gardent autour de leur cou la clé de leur ancienne maison, pour ne pas la perdre quand le retour viendra. Si l'on prend les palestiniens comme un bloc homogène, on peut se demander s'ils souhaitent recevoir la nationalité du pays d'accueil. De plus, accepter la sédentarisation des palestiniens dans quelque pays arabe que ce soit est une légitimation de fait de l'exil intolérable auquel les palestiniens ont été forcés de se soumettre en 1948 et 1961, et d'une certaine vision expansioniste et colonisatrice du sionisme. En bref, légaliser les exils d'hier serait légaliser aussi ceux de demain.

Qu'en est-il des droits économiques ? On pourrait se dire que les palestiniens peuvent au moins avoir le droit de travailler au Liban, même s'ils n'y ont pas de droits politiques. Mais on se heurte à deux problèmes, l'un légal et l'autre économique. Le premier écueil est le principe au Liban qui veut qu'on n'accorde de permis de travail aux étrangers que si leur Etat d'origine accepte d'accorder de tels permis aux libanais (amis juristes, ne m'insultez pas trop, je ne fais que répéter bêtement ce que l'on m'a dit). Attendu qu'il n'y a pas d'Etat palestinien, un tel accord ne peut être passé. Le second écueil est plus concret : il ne faut pas oublier que l'ensemble des réfugiés palestiniens au Liban représente près de 10% de la population libanaise. Même en enlevant les inactifs, on obtient un pourcentage conséquent. Intégrer des travailleurs prêts à accepter de plus bas salaires en grand nombre au marché du travail serait (si l'on en croit les théories classiques) dévastateur pour la situation économique des libanais dans leur ensemble : baisse des salaires, dégradation des conditions de travail, montée du chômage.

Il n'est pas évident, quand on est un européen assez candide, de découvrir que le malheur d'un peuple peut être la condition de l'équilibre d'un autre. Cette situation est évidemment injuste, mais il serait tout aussi injuste de faire payer aux libanais la politique d'un Etat dont ils ne sont pas responsables et contre lequel ils sont toujours en guerre. pour reprendre l'analogie donnée par un camarade de fac : supposez que la Suisse sont envahie par l'Italie et que tous ses habitants en soient chassés pour venir s'installer en France, seriez-vous prêts à accepter de les intégrer à la population française, cautionnant ainsi une politique injuste d'expulsion et la dégradation des conditions économiques en France ? Plus concrètement, quand la Turquie a demandé à entrer dans l'Europe, les européens ont majoritairement exprimé leur désaccord, par peur des conséquences économiques et de l'arrivée en Europe d'une population d'une autre religion (théorie du "club chrétien"), et les français, peuple autoproclamé garant universel de la lahissithé et des drouadlom, ne se sont pas fait prier pour s'y opposer durement !

Avouez que c'est dur de donner des leçons d'humanisme à un autre pays quand on fait soi-même la chose qu'on lui reproche....

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PS : Encore une fois cet article est incomplet et partiel. Je n'ai pas la prétention de savoir toutes les données du problème et je vous invite à me corriger ou à lancer le débat. Ce que je présente ici est un point de vue que je ne rejoins pas intégralement et qui m'a été exposé.

PPS : Je vous annonce la naissance d'un petit nouveau dans la famille, le blog d'Alexis, Des visages des couleurs, qui est ma foi d'une grande qualité et fort sympathique.

Ci-dessus : un noeud gordien

Petite note amusante sur le halal

Les vils français que vous êtes pour la plupart se souviennent à coup sur de LA grande affaire des Quick halal. Pour ceux qui ne la connaissent pas, je la résume en deux lignes : la chaîne de restauration Quick ayant décidé de ne plus servir que de la nourriture halal dans ses restaurants, plusieurs intellectuels et responsables politiques s'étaient dressés avec courage pour dénoncer envers et contre tous (c'est vrai que personne ne fait comme eux) l'islamisation progressive et scandaleuse de la France. D'aucuns avaient même commencé à voir un monde où, après les avoir chassé hors des Quick (patrimoine français s'il en est), les musulmans en horde furieuse bouteraient purement et simplement les gaulois, et pas qu'à moitié.

Pour être objectif, il faut se souvenir que face à cette honteuse provocation des "Je suis plus français que toi", on avait pu entendre d'autre part les habituelles accusations de racisme (quand le délit de bêtise aurait pu être invoqué bien plus simplement) et l'appel à la halalisation de tous les Quick et même des Mc Donald's quand on aura fini ben vous verrez bien tiens.

Alors bon, les arguments sur "le restaurant français, modèle de sociabilité et d'acclimatation à notre mode de vie" (essayez de vous sociabiliser avec un vendeur qui doit expédier une vente par tranche de trente secondes et qui vous empêche de vous acclimater à notre mode de vie en vous disant au moins un mot sur deux en anglais, du type : "Vous voulez les potatoes big size avec votre menu Long Chicken maxi deluxe ?"), ou la laïcité qui impose de ne servir aucune viande rituelle (adieu, restaus juifs, adieu, kébabs de notre enfance !) peuvent faire sourire. On pourrait juste demander à Quick de servir des menus qui conviennent à tout le monde, mais non.

Alors que fait cet article dans un blog sur le Liban, me demanderez-vous ? Eh bien parce qu'il s'avère qu'au Liban, les chrétiens se sentent effectivement mis en minorité dans un territoire où ils sont historiquement implantés. Il se trouve qu'effectivement, les musulmans représetent 58% de la population libanaise (c'est plus que les pauvres 12% français, convenons-en) et qu'ils sont effectivement la majorité dans ce pays.

Et vous croyez qu'ils en ont quelque chose à foutre, les chrétiens libanais, que leur viande soit halal ?

Le paradis de la rhinoplastie et autres divagations du même cru.

lenez3-big-300.jpg Il est temps de faire tomber un mythe : non, les libanaises ne sont pas des barbies refaites de partout qui courent les boutiques de luxe toujours en quête d'un mâle hagard à séduire. Elles prennent soin d'elles, c'est différent. On croise régulièrement à l'USJ (panel représentatif de la catégorie la mieux lotie de Beyrouth) de jeunes filles (et parfois hommes) arborant plus ou moins fièrement un sparadrap sur le nez.

Je me suis interrogé discrètement sur les moeurs de ces gens : sont-ils membres de clubs de boxe ? Se battent-ils contre des SDF la nuit dans des caves ? Ont-ils des parents défendant une conception musclée de l'éducation ? Si je tire sur le nez, me restera t-il dans la main ? Part-il se promener quand son propriétaire dort, façon Gogol, pour revenir fatigué et ivre au petit matin se rattacher au visage embrumé de sommeil et énervé d'un étudiant sans nez, et qui le sparadraphie pour lui apprendre à bien (se) tenir ? Rien de tout cela, je le crains. L'explication est plus prosaïque : ils sont passés par la case rhinoplastie. C'est un sport national (entre une femme sur quatre et une femme sur trois au Liban y serait passée, d'après des sources que je ne citerai pas).

Outre la quantité des opérations, le rapport de l'opéré à son appendice récemment tuné est très différent de celui qu'ont les européens avec le même appendice. Quand en France une femme serait forcée de restée cloîtrée une semaine entière dans son appartement avec pour seule compagnie un chat et des corn-flakes, en attendant de pouvoir retirer l'infâme pansement faute de devoir passer une heure à expliquer aux policiers que son mari ne la bat pas recevoir des remarques désobligeantes, une jeune fille récemment opérée à Beyrouth ne cache pas son sparadrap. Mieux : elle le montre.

C'est, paraît-il, un comportement motivé par un certain rapport à l'argent et au physique. Il est de bon ton de montrer, comme on le ferait avec une belle voiture ou des vêtements de grande marque, que l'on a les moyens de s'offrir le nez de ses rêves. Et il est bien vu d' "investir" dans son corps. C'est également pour ça que les femmes libanaises ont la réputation d'être accros aux soldes coquettes : mettre en valeur son corps est central. Je ne me prononcerai pas sur la question car je ne les connais pas, mais c'est la seule explication qu'on m'ait fournie jusqu'ici.

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On est forts, en France, pour critiquer le communautarisme. Depuis deux mois que je suis ici, je commence à me dire que nous sommes hypocrites et que ce n'est qu'un réflexe humain totalement normal. Nous nous sommes installés dans un pays où la majorité de la population a des bases d'anglais ou de français, voire des deux, et qui parle en dehors de cela une langue relatiement simple à apprendre. De plus les libanais n'ont pas à ce qui me semble d'antipathie particulière à l'égard du peuple français.

Vous croyez que ça nous empêche de vivre entre nous, de colouer des appartements entre français, de ne discuter qu'avec des français, de manger "comme chez nous" (et de gueuler parce qu'on ne trouve ni baguettes ni jambon de pays dans les supermarchés) et de faire la fête entre français ? Nenni, mes bons ! Nous y cédons tous.

Tel que vous me lisez, je n'ai passé jusqu'ici qu'une soirée en dehors du groupe d'étudiants français à l'USJ. Et je l'ai passée avec... deux français. Et je ne vous parle pas des French Nights, Elysée Rooftop Nights et autres amusements organisés par des français pour une majorité de français. C'est un réflexe humain : dans un contexte inconnu, on se tourne vers ce qui nous ressemble, malheureusement. Mettez deux français dans le désert du Sahara au milieu d'un groupe de touaregs, attendez cinq minutes : ils seront à part du reste du groupe, à parler des grandeurs et misères de la SNCF, de la coupe du monde 98, de la bouffe "qui est meilleure chez nous", et... de ces salauds de communautaristes.

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Il règne au Liban une folie du sac plastique. Nous achetâmes, à notre installation, des assiètes pour ne plus manger par terre, dans le supermarché du coin. L'employé spécialisé dans le rangement des items dans les sacs plastiques (si, si) avait commencé à glisser les plats dans un grand sac plastique, quand il fut repris par son supérieur : il fallait ranger chaque assiète dans un sac différent, et les sacs dans un plus grand sac.

D'une manière générale, on croise des regards surpris, parfois moqueurs, quand on débarque au supermarché avec nos sacs en toile achetés dans une grande surface pour économiser du plastique. Il faut régulièrement expliquer que non, nous n'avons pas besoin des sacs en plastique du magasin, que nous avons les notres. De même, il faut insister pour que le sac ne soit pas rempli à moitié mais bel et bien jusqu'à ras bord. Ou décliner l'offre du gentil papetier du coin qui offrait un sac plastique pour transporter un stylo et un paquet de pâte à fixer.

C'est dans ces cas là qu'on s'aperçoit que la protection de l'environnement a encore du chemin à faire dans ce monde. Il ne s'agit pas pour moi de faire mon néocolonial en manque d'économie verte, mais d'un simple constat.

Vous me direz, ça fait des sacs poubelle pas cher.

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Je finis cet article par un petit tour d'horizon des blogs d'autres expatriés que j'ai eu l'occasion de visiter à mes heures perdues, et qui valent le détour :

- "Mes prouts à Beyrouth", tenu par Pierre, courageux accordéoniste barbu.

- "C'est Beyrouth ici !", organisé par Pierre (un autre), brave syndicaliste imbibé.

- "Une année au Liban", rédigé par Pauline, téméraire militante campiste.

Je publierai d'autres adresses de blogs à mesure que je les découvrirai.

Soir d'Aïd

Ah, l'Aid al Kabir, la Grande fête ! Tabaski, Adha, Kurban Bayrami, tant de noms pour une célébration si sympathique ! On se retrouve en famille autour d'une grande table, on se fait rôtir un mouton spécialement égorgé pour l'occasion, c'est aussi pour certains l'occasion, comme Noël chez les familles catho traditionnelles, de se retrouver en famille, de revoir, probablement, ces cousins à qui on ne parle jamais, ces tantes et grand-oncles dont le nom et la biographie vous échappent... Bref, une vraie fête familiale comme en ont certainement tous les peuples et toutes les religions. On s'amuse, on mange bien, on se fait une orgie de mouton à toutes les sauces et sans sauce...

Ce soir, c'est l'Aid al Kabir. Je suis seul dans ma chambre, et j'ai mangé des pâtes aux pâtes. Bonne fête à tous.

Tu as aimé le Liban ?

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J'avais écrit en début de blog une note pour me moquer des réactions de mes proches à l'annonce de mon départ prochain. Mais ce à quoi je ne m'attendais pas, c'était que ces réactions me suivraient une fois au Liban. Je m'attendais, jeune niais fraichement sorti de son cocon, à tomber sur un peuple fier et grand, heureux d'accueillir en son sein pour quelques mois un étranger et de lui montrer les plus beaux aspects de son pays rude et beau.

Mes rêves se sont brisés face à cette simple et horrible question : "Tu as aimé le Liban ?", systématiquement suivie de : "Mais, pourquoi tu es venu au Liban ?".

Partir à l'étranger est un évènement assez central dans les études e l'IEP. La troisième année est peut être la plus attendue, puis la plus regrettée de toutes. C'est qu'elle donne aux étudiants la possibilité de s'exprimer de façon totalement personnelle : qui ira se dorer la pilule en Australie, qui ira surfer sur les vagues californiennes, qui ira jouir des immensités désertiques du nord du Mali, qui ira crapahuter dans les montagnes sud-américaines ou se perdre dans Rio, qui ira déguster du dograma dans les faubourgs d'Achgabat... Chacun a ainsi la possibilité de passer une année en accord avec ses envies profondes.

Evidemment, une fois sur place, il est normal de se voir demander d'expliquer pourquoi on a choisi ce pays et pas un autre (surtout quand on ne part ni aux Etats-Unis ni en Angleterre). On pourra alors se lancer dans une explication passionnée portant sur notre amour inconsidéré des plages sablonneuses, des déserts arides ou du mouton cuit dans l'huile.

Le problème est autrement plus compliqué quand on ne sait pas quoi répondre. Après deux mois de présence au Liban, je suis forcé de me rendre à l'évidence : je ne sais pas du tout pourquoi j'ai choisi ce pays et pas un autre. Je ne suis pas, comme le sont certains, passionné depuis ma plus tendre enfance par les récits des nombreuses aventures de Omar Bacha, je me passais très bien de hommos avant l'année dernière, et le récit des conquêtes et reconquêtes (assorties ou non de massacres) entre druzes et maronites pour le contrôle de la montagne libanaise au XIXe siècle a tendance à provoquer en mois de brusques poussées de sommeil.

Je pourrais dire que ma venue a été poussée par une sorte de fantasme orientaliste typiquement européen, imaginant une Arabie mystique et perdue entre la mer et le désert, où de grands bédouins apportent à dos de chameau des épices rares et de la soie, mais ce ne serait pas vrai (étant donné que je savais que Beyrouth ressemblait plus à la New York du monde arabe qu'à Médine au VIIe siècle). Quant à la dernière option, qui consisterait à avouer un hypothétique attrait pour les pays qui ont tendance à sombrer dans la guerre civile, quelque chose me dit qu'elle n'est pas vraiment légitime.

Alors quand la question fastidieuse se heurte à moi, je ne sais jamais que répondre. Oui, j'ai aimé le Liban et je l'aime encore. Mais pour ce qui est de savoir pourquoi j'y vins, en revanche, c'est une autre affaire, et la seule réponse que je trouve est un bête : "Pourquoi pas ?".

Encore, si les interrogateurs s'arrêtaient là, mais c'est que les bougres insistent ! "Tu n'étais pas content en France ? Pourquoi le Liban ? Ils t'ont refusé aux Etats-Unis ? Et pourquoi le Liban ? Mais je ne comprends pas, tu es obligé de partir de France, tes études là bas sont bien suffisantes, non ? ET POURQUOI LE LIBAN ?"... Et moi, "Si, mais je ne sais pas, mais non monsieur, oui monsieur, pardon monsieur c'est pas moi qui suis responsable je vous le promets".

Non, manifestement il est absurde de venir étudier au Liban. Ce qui ne me réconforte pas, je l'avoue, sur l'état de ma santé mentale.

La Grande Bataille

Drapeau-fran%C3%A7ais-insult%C3%A9-002.jpg Parfois, il arrive dans la vie d'un homme de se prendre la tête sur des histoires qui n'en valent pas la peine. On peut, presque sans caricaturer, faire cette analyse sur l'intégralité des publications du GAJA, par exemple. Le mouvement s'est de nouveau mis en branle dans le petit quartier chrétien de Beyrouth où j'ai le bonheur de vivre, plus précisément dans l'immeuble dans lequel je traîne mes frusques pendant la majeure partie du week end.

Le débat s'est porté sur une malencontreuse anecdote dont je fus l'un des tristes héros. A l'occasion d'une soirée plus ou moins almazifiée (al maza étant un terme générique utilisable pour le mot "bière"), vint à certains de nos camarades l'idée de suspendre à un mât de fortune un drapeau français qui avait fait le voyage avec lui depuis son obscure citadelle de province. Ni une ni deux, le drapeau fut récupéré au fond de la valise dans laquelle il gisait, fixé à un balai renforcé de fil de fer, et place sur le toit. Puis la Marseillaise fut chantée et chacun repartit bienheureux, s'endormant du sommeil lourd de celui qui a accompli son devoir patriotique (et a bu plus que son litron de bière).

Les combats commencèrent dès le lendemain, quand des cohabitants (français également) de l'immeuble en question virent l'étendard battant fièrement au vent. De nombreux cris furent poussés contre le colonialisme plus ou moins néo d'un tel acte et le mépris de ses acteurs envers le peuple libanais. Le scandale n'a depuis lors eu de cesse de gonfler pour devenir un sujet de conversation presque aussi récurrent que la météo. Dans une discussion au point mort, sortir une petite référence à "l'affaire du drapeau" assure à l'expatrié taquin une réussite totale.

On aurait pu croire que l'absurde et l'humour de la situation n'auraient échappé à personne : ayant été présent, je ne pense pas que la montée des couleurs nocturne avait un autre objectif que de nous faire rire grassement. En cela, la mission fut parfaitement remplie. C'est à partir du moment où la boutade devint un sujet de débat entre les pourfendeurs du néocolonialisme et les patriotes du vendredi soir et du samedi matin qu'il se transforma étrangement en un débat d'une lourdeur et d'une inutilité patente.

Date fut prise, et le drapeau blasphématoire fut nuittament remplacé, à l'occasion d'une intelligente contre-attaque, par un drapeau libanais. On aurait pu s'attendre à ce que le sujet soit définitivement clos. On aurait ensuite ri à ces batailles symboliques et finalement bien drôles, en se remplissant un bon godet de mauvais vin, avant d'entonner "La digue du cul". Tout le monde aurait été heureux.

Mais je viens d'apprendre que le remplacement de notre symbole national a choqué les défenseurs des couleurs phranssaises, et qu'il s'agit maintenant d'organiser une soirée de remplacement du drapeau libanais par un étendard gaulois fier et enfin victorieux.

A ce stade de l'histoire, vous devez vous dire comme moi qu'il est définitivement des situations, dans la vie d'un homme, où celui-ci se prend le chou pour des âneries. Vous avez certainement raison. D'abord, la mise en place du drapeau était drôle. Un jour. En ce qui me concerne, je n'ai jamais affiché mes couleurs au grand jour, et je ne vois pas pourquoi je m'y mettrais cette année. Ce qui n'a rien d'une "honte d'être français". Toutefois, je trouve ça marrant de se piquer d'un petit élan de patriotisme aviné pour marquer le coup. Ce qui n'a rien de néocolonialiste.

Je préfère donc me tenir écarté de cette grande bataille qui est à la fois inutile et désespérément sérieuse. Je suis cependant tout à fait disposé à organiser les paris sur quelle partie emportera la bataille rangée qui en résultera. Et à fournir les mousquets.

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PS : Je cherche de mon côté un drapeau pirate, qui remplacera de façon définitive et arbitraire tous les autres symboles. Et je vous garantis que ça va chier.

Ci-dessus : Le drapeau libanais sous le Mandat français. Ou comment réconcilier tout ce petit monde.

Ode à une perceuse qui m'éveilla un doux matin d'automne

Panneau-dormir.pngAh, les samedis. Quelle joie de dormir jusqu'à pas d'heure en sachant que rien, ni travail, ni université, ni guerre civile, ne viendra vous déranger... Quel bonheur de rester à se remettre de la soirée de la semaine en écoutant le doux bourdonnement du bourdon joyeux qui vous ravit l'oreille de son "Bzzz" harmonieux.... De son "BZZZ" dérangeant... De son "BZZZZ" carrément emmerdant...

Furieux, rageur, haineux, je m'extrais de mes draps empêtrés. Qui peut être le cuistre qui joue de la perceuse à cette heure-ci ? Quelle heure est-il, au fait ? Un coup d'oeil au réveil chinois confirme mes pires craintes : il est sept heures trente. Ma grasse matinée vient d'être réduite à l'état de doux rêve par la faute d'un salaud d'insomniaque armé d'une perceuse. J'enrage.

La semaine dernière, c'était le fou du septième qui jouait du marteau à la même heure (en essayant très certainement de creuser un trou dans le sol, vu son acharnement à frapper sur le sol comme un sourd). La semaine précédente, les travaux de découpe de la rue d'à côté qui se relançaient à une heure où tout être décent devrait encore porter pantoufles et tasse de café. Le samedi n'a rien de sacré, dans ce pays sauvage, ou quoi ?

La première rage passée, j'empoigne le projectile le plus proche (un livre sur la psychologie de masse du fascisme, ironie du sort) et ouvre ma fenêtre avec la ferme intention d'assommer le malandrin d'un tir précis et colérique. A peine la fenêtre ouverte, je me prends une deuxième vague d'ondes sonores qui me laisse, hagard, sur le carreau : c'est le père Jean-Robert, responsable de l'église du coin, qui met en application sa politique de lutte contre l'islamisation de Furn el-Chebbak en faisant résonner ses cloches synthétiques à toutes berzingues, en suivant la politique bien connue : "Mes cloches sont plus grosses que ton minaret". Il se met ensuite à beugler son couplet dans son micro avec effet "Seconde Guerre Mondiale" (les parasites sont gratuits).

Je suis vaincu par KO. Les efforts combinés du perceur à bretelles, du curé Jean-Robert et maintenant de toute la rue (je tiens à préciser que ma fenêtre donne sur une petite ruelle qui doit connaître un trafic d'environs une voiture/demi-heure, sauf entre sept heures et dix heures, le week end, où l'afflux de voitures est d'à peu près deux cent véhicules/minute.

Tremblant, haletant, je chancelle vers la cuisine. Je n'ai plus qu'à entamer ma journée de week end, toute pensée de grasse matinée définitivement enterrée...

PS : Même si cet article est assez futile, il révèle malgré lui une chose qui me pose réellement problème. Les ouvriers qui refont la rue près de chez moi travaillent non-stop, du matin à tard dans la nuit. Rentrant d'une soirée il y a deux semaines, j'ai pu en voir travailler à deux heures du matin. Sans protections contre le bruit, ni contre les accidents, évidemment...

Une simple petite question


Je passe beaucoup de temps sur mon toit. Il y fait bon le soir, on peut y dîner en regardant les lumières sur la ville, c'est très beau. En bientôt quatre semaines dans mon appartement, je crois que je n'y ai pas mangé que trois ou quatre fois.

Or, tous les soirs, nous nous posons la même question. En effet, il y a à Beyrouth au bas mot cinq feux d'artifices par soir. Ils ont lieu dans à peu près tous les quartiers de la ville, de façon très aléatoire. La plupart du temps, nous ne percevons de ces feux que quelques bruits d'explosions lointaines. Or, systématiquement, il est une personne pour s'interroger tout haut : pourquoi les libanais aiment-ils tant les feux d'artifices ?

On pourrait s'attendre, de la part d'un peuple qui a connu tant de conflits, à une certaine aversion pour les explosions. On me cite parfois des cas de personnes qui, ayant connu l'occupation il y a soixante ans en France, tremblent toujours en se rappelant du bruit des bottes. Pourquoi n'en serait-il pas de même au Liban où, il y a encore trente ans, une explosion dans la nuit n'était pas signe de jolies couleurs dans la nuit étoilée.

On pourrait aussi s'imaginer que les souvenirs du conflit de 2006 et d'autres lumières dans la nuit pourraient ne pas inspirer un tropisme exagéré de la population envers les boums-boums nocturnes. Avoir vécu en se demandant si le prochain "boum" ne serait pas pour nous pourrait légitimement pousser les libanais à être rebutés par de nouveaux "boums".

Un pays qui a connu plusieurs grands "boums", annonciateurs de tensions, que ce soient l'assassinat de Bachir Gemayel comme celui de Rafiq Hariri, pourrait ne pas avoir envie d'en provoquer de nouveaux. D'autant, enfin, que ce même pays se sent au bord d'un nouveau conflit, et qu'il nous est arrivé plusieurs fois, en entendant un feu d'artifices un peu atypique, de nous demander si "ça" n'avait pas (enfin) commencé.

En bref, je ne comprends pas cet amour pour la pyrotechnie. Et pourtant, il existe. A moins que ce ne soit qu'une pulsion presque désespérée, une volonté cachée de se débarasser des démons, et de tranformer les explosions en une improbable manifestation de vie...

Edit (deux jours plus tard....) : Finalement, j'ai eu ma réponse. Il s'agit encore d'une des merveilleuses démonstrations de richesse à la libanaise, dans un pays où les pétards sont hors de prix.... Mon romantisme et ma mélancolie en prennent un coup.

Découvrons ensemble dans la joie le système confessionnel du Liban

Je ne tiens pas à faire un article scientifique. Je ne suis pas un expert du sujet, que cela concerne le Liban ou les systèmes confessionnels. Je ne suis pas non plus un expert des communautés dont je vais parler et je saurai gré à toute personne qui trouverait dans cet article une erreur de m'en informer afin qu'elle soit corrigée.

Jusqu'ici, selon les cours que j'ai suivis et les discussions que j'ai pu avoir, j'ai appris que le système politique libanais n'était pas structuré de la même façon que les systèmes politiques traditionnels, en particulier les systèmes occidentaux comme le français. Toutefois, il ne faut pas croire que le cas du Liban est typiquement oriental. La présence d'une communauté chrétienne puissante est en particulier un des éléments qui rend ce système, si pas inédit, du moins original dans la région.

D'un point de vue purement juridique, le Liban est une démocratie. Les représentants sont élus, les tribunaux indépendants et les citoyens sont sous un régime de protection des droits individuels par la Constitution. Les libertés de culte, d'expression et d'association sont respectées (c'est flagrant dans le cas de l'association Helem qui milite pour les droits des homosexuels au Liban bien que l'homosexualité y soit proscrite). Parallèlement à ces droits et pratiques, vient se greffer un système confessionnel : si les droits des individus sont garantis, ceux des communautés religieuses également, et ce sont d'ailleurs elles qui gèrent la législation en matière de statut personnel (naissance, mariage, divorce, etc).

Le système politique à proprement parler est également confessionel : les sièges de députés sont répartis entre les communautés, et un candidat peut se présenter à la Chambre uniquement en briguant un siège de son culte (un maronite ne pourra être élu que pour un siège maronite, par exemple). Cependant, les députés d'une communauté sont élus par toutes les communautés (des maronites pourront donc voter pour un député sunnite).

On compte dix-huit communautés officiellement reconnues par la Constitution libanaise. Je vous en fais la liste exhaustive en ajoutant des précisions pour ceux qui se demanderaient par exemple la différence qu'il y a entre un sunnite et un chiite.

Les communautés musulmanes : On distingue à l'intérieur des communautés musulmanes la communauté sunnite (qui est la version "classique" de l'islam, et est composée historiquement de ceux qui suivirent le calife Mu'awiya. D'un point de vue idéologique, le schisme s'est fait entre eux et les chiites sur la légitimité du calife, qui est choisi par les croyants dans un certain cadre, et pas héréditaire. Théologiquement, les sunnites n'ont pas de clergé officiel, et leurs textes religieux de base sont le Coran et les Traditions du prophète Muhammad ainsi que de ses compagnons), les communautés chiites (qui sont la minorité dans l'islam, et considèrent que le calife légitime était 'Ali, en tant que cousin et gendre du prohète Muhammad. Les chiites ne parlent pas de calife mais d'imam. Ils ont un clergé officiel, reconnaissant la supériorité de l'imam en matière de jurisprudence divine. Leurs textes religieux majeurs sont le Coran, ainsi que les Traditions du prophète Muhammad et des descendants de celui-ci). Les chiites se divisent entre duodécimains, alaouites et ismaéliens (qui se distinguent entre eux sur des points de jurisprudence essentiellement). Dernière branche, quasiment inédite au Liban, les druzes pratiquent une forme d'islam caractérisée par sa dimension mystérieuse, l'absence de lieux de cultes et le refus de pratiquer la chari'a (loi divine exprimée par le Coran et les Traditions).

Les communautés chrétiennes : Ils se distinguent eux-mêmes avec d'une part les chrétiens catholiques dans toute leur variété (catholiques romains dont le pape est à Rome, catholiques syriens ou syriaques dont le chef de l'Eglise est le patriarche d'Antioche, catholiques arméniens qui se distinguent par une liturgie propre et un chef d'Eglise nommé -selon le Grand W- Catholicos-Patriarche de Cilicie des Arméniens, catholiques chaldéens dont le chef de l'Eglise est le Catholicos-Patriarche de Babylone des Chaldéens et qui prient en syriaque, les catholiques grecs melkites dont le chef d'Eglise est le Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient, d'Alexandrie et de Jérusalem des Melkites* et enfin la principale communauté chrétienne au Liban, les maronites dont je parlerai plus bas). D'une autre part, on compte les Eglises orthodoxes (les grecs orthodoxes, les syriaques orthodoxes, les assyriens orthodoxes et les arméniens apostoliques) qui se distinguent également sur des questions de pontificat. A cela s'ajoutent des coptes et des protestants qui ne sont pas cités dans la loi du 13 mars 1936 dressant le tableau officiel des communautés religieuses au Liban.

Les maronites : les maronites sont apparemment la communauté chrétienne la plus influente du Liban. Le président de la République, par exemple, ne peut être que maronite (tandis que le Premier ministre ne peut être que sunnite et le président de la Chambre que chiite). Historiquement, la communauté maronite s'est construite autour de l'enseignement de Saint MAron( d'où son nom) et, tout en étant soumise à Rome, refuse de devenir catholique romaine. Ainsi, le patricarche maronite est indépendant et la liturgie se fait selon le rite maronite pour l'essentiel, en syriaque et en arabe.

Divisées légalement, ces communautés le sont aussi politiquement, chacune ayant son ou ses partis politiques exclusifs (mais pas réservés) et ses tendances (bien que les communautés soient partagées). Ainsi, le Parti Socialiste Progressiste est quasi-totalement un parti druze, les Forces Libanaisesquasi-uniquement un parti maronite, ou le Hezbollah quasi-uniquement un parti chiite. Divisés en terme de communautés, la scène politique l'est également autour de deux grands courants, le Mouvement du 8 mars et le Mouvement du 14 mars, qui se positionnaient au départ en termes de pro ou anti-syriens (prenant leurs noms de deux manifestations, celle du 8 étant pro-syrienne à l'appel de Hassan Nasrallah et celle du 14 étant la plus grosse manifestation anti-syrienne suite à la mort de Rafiq Hariri). Aujourd'hui, le 8 et le 14 se positionnent sur la question du TSL (tribunal créé par l'ONU pour régler la question de la mort de Rafiq Hariri), que le premier rejette tandis que le second l'exige.

Cet article n'est évidemment qu'un léger débroussaillage que j'ai pu faire en trente jours. J'ai l'intention d'approfondir, mais comme vous avez pu le comprendre, ce pays est relativement complexe et les enjeux sont multiples. Ce qui explique probablement en partie pourquoi je ne comprends toujours rien à sa politique.

*Titre complet : Patriarche des grandes villes d'Antioche, d'Alexandrie et de Jérusalem, de la Cilicie, de la Syrie, de l'Ibérie, de l'Arabie, de la Mésopotamie, de la Pentapole, de l'Éthiopie, de toute l'Égypte et de tout l'Orient, Père des pères, Pasteur des pasteurs, Pontife des pontifes, treizième des saints apôtres. (Source : Grand W)

Broum broum


Il paraît que les beyroutis ont deux vie. La première est banale. C'est celle qu'ils mènent au sein de leur famille, de leur classe sociale, de leur communauté. Elle est, comme dans toutes les sociétés, très codifiée : que dire, que faire, à qui parler, ne pas parler, etc. Parallèlement, ils vivent une seconde vie, au volant.

De ce que j'ai pu en voir, la règle unique est simple : plus c'est gros, plus ça a la priorité. Ainsi, que le feu soit rouge ou vert, un 4x4 Jeep aura forcément la priorité sur une vieille Mercedes. Mais on aurait tort de considérer la "grosseur" de la voiture à Beyrouth en stricts termes de taille. Une toute petite voiture de sport, extrêmement coûteuse, sera de loin supérieure au 4x4 mentionné plus haut, par exemple.

Pour faire valoir sa supériorité (mais aussi pour avoir un qualconque rapport de communication), il existe un outil simple et diaboliquement efficace : le klaxon. Utilisé sur le même rythme, il peut signifier qu'il y a une place libre dans le taxi, mais également que la voiture est prioritaire, que son chauffeur a envie de manger un tawouk, qu'il fait sacrément beau ce matin ou que tu as vu le résultat du match hier putain con il était bien hein. On notera que d'autres usages peuvent être faits du klaxon : pour s'amuser (authentique : une voiture seule sur la route qui klaxonne sans aucune raison), mais aussi (et en ce qui me concerne, bien plus réquemment) pour signifier au piéton téméraire qu'il va bientôt mourir.

Car le statut de piéton est relativement précaire, et se résume également en une seule règle : essaie de traverser entre les voitures. Celles-ci ne ralentiront pas et ne feront pas d'écart pour te laisser passer. Tout se joue comme un poker menteur entre le piéton et la voiture, à qui bluffera le mieux. La voiture tente de faire croire au piéton que sur le chemin de puissance déchaînée et de liberté qui est le sien, un cadavre de plus ou de moins ne pèse rien. Le piéton, lui, doit faire violence à la voiture en lui disant "Même pas cap' de me tuer". Le premier qui cède a gagné cinq secondes et le droit de passer en premier (soit deux privilèges non négligeables).

En dehors des relations voiture-piéton ou voiture-voiture, les relations entre le code de la route et les chauffeurs sont très complexes. D'une manière générale, le code de la route est une entité optionnelle, méchante, ennuyeuse et qu'on est en droit légitime de ne pas respecter. D'autre part, je n'exclus pas que le code soit conçu ainsi : "Article 425 : Tout dépassement de feu rouge est passible d'un retrait de permis de conduire et d'une amende de 250 000 livres libanaises, sauf si le conducteur prend un air excédé et klaxonne de mécontentement avant de dépasser le feu rouge".

Ces deux vies doivent être comprises comme étant strictement séparées. Rentrant de soirée ce week end, j'en fis avec deux amis la triste expérience. Passablement émêchés, nous nous étions jetés avec enthousiasme sur l'offre d'une jeune camarade de nous déposer chez nous dans son véhicule personnel. Cette créature était parfaitement policée, d'un abord sympathique et charmant, bien vêtue et avait une conversation tout à fait intéressante (source : témoignages). Cet abord ne l'a pas empêchée, une fois au volant, de piquer des pointes et des virages en épingle à cheveux à près de 100 km/h, et de slalomer de bonheur sur la route qui -par bonheur- tait vide.

Comme le disait le marin expérimenté : en plein océan, quand un cachalot vient de droite, il est prioritaire. Quand il vient de gauche, il est aussi prioritaire.

Ci-dessus : Rue de Damas, heure de pointe.

De Monot à Furn el Chebbak, occasion d'une rêverie pédestre dans BeyrouthDe Monot à Furn el Chebbak, occasion d'une rêverie pédestre dans Beyrouth

Il pleut enfin sur Beyrouth. Pas une petite pluie européenne, glissante et désagréable, malhonnête, mais une saine et puissante pluie, violente et brève. Je sors de l'université à l'occasion d'une accalmie. Le sol est trempé. La rue, sale, dégouline de feuilles mortes, mégots, morceaux de papiers, libérés de leurs cachettes par les torrents qui s'abattaient sur la ville un quart d'heure plus tôt.

Monot n'a pas été bouleversé outre mesure par la pluie battante. Quelques vieux ont bien reculé leur chaise de quelques pas pour se mettre à l'abri sous un bout d'auvent, continuant à regarder avec indifférence le bout de rue qu'ils dominent de leur trône improvisé. Les rues pavées sont de vrais coupe-gorges et mes chaussures, traîtresses achetées pour une bouchée de pain, s'amusent à me tendre des pièges avec l'espoir secret de me voir avec une jambe rompue.

Rue de Damas, les choses sérieuses commencent. Si Monot n'avait pas été marquée outre mesure par la pluie, l'axe routier ne semble même pas conscient de l'existence du phénomène. Klaxons de taxis en quête de clients contre klaxons de chauffeurs excédés par les cinq secondes d'attente que le bouchon imprévisible qui vient de se former, me permettant de passer sans trop craindre pour ma vie. Ici, les vieux (ceux qui n'ont pas encore cédé la place) n'ont pas à se reculer pour éviter les gouttes : le conflit qu'ils mènent contre les piétons pour le contrôle du trottoir a tourné en leur défaveur depuis quelques jours.

Puis c'est l'archevêché grec catholique melkite de Beyrouth et de Jbeil (marque déposée), qui dresse sa façade le long de la route. Non loin, les gardiens de la rue de Damas, dans leurs chars d'assaut et camions blindés (dont les canons ont été bâchés pour l'occasion) laissent transparaître ler humanité. L'un regarde les filles, l'air de rien, un autre, perché sur son camion, vide son gobelet de café, deux autres sont en pleine discussion. Le tableau dégage un certain charme, contrastant avec l'austérité de la direction générale de la sûreté générale. Plus loin, sur les marches du Mathaf, ce sont quelques touristes qui se sont assis, profitant à leur tour d'un abri temporaire. Eux ne regardent pas la rue, aspirés dans la consultation des divers prospectus qu'ils ont récupéré dieu sait où. Une nonne, arborant voile et baskets Nike, traverse le rue d'un pas décidé. Marie-Thérèse des Batignolles locale, je me solidarise d'emblée avec le malheureux qui tentera de la faire dévier de son chemin.

Un nouveau bouchon-instantané (made in Beirut) me permet de passer le carrefour du Mathaf, avec les klaxons excédés des automobilistes et le roulement du tonnerre au loin comme bruit de fond. Me voilà à Badaro. Moins austère que son concurrent melkite, l'archevêché syrien de Beyrouth (si, si) laisse entrevoir un assez beau jardin dans lequel j'irais bien m'asseoir un peu. Mais il recommence à pleuvoir, et je marche plus vite, profitant à mon tour des stores déployés au dixième pour éviter les gouttes. Je coupe par un marchand de voiture, « Ahlan ! », oui, je sais, je suis bienvenu, et je le serai toujours dans cent ans. Mais je dois traverser le dernier carrefour, l'occasion de risquer encore un peu ma vie. Je suis à Furn el Chebbak, il pleut maintenant à verses. Plus que cinquante mètres, et je suis chez moi. Je suis trempé, mon bas de pantalon est foutu, mes chaussures glissent. Temps de merde. La prochaine fois, je prendrai un parapluie.

They're eat people !

Il est intrigant de se promener dans Beyrouth. La ville est - paraît-il, à l'image du pays, divisée en secteurs marqués par leur appartenance confessionnelle. Si vous vous promenez Furn el Chebbak ou à Achrafieh, vous croiserez facilement des drapeaux des Forces Libanaises, ou la tête de Bachir, tandis que si vous allez du côté de Hamra, ce seront d'autres drapeaux, symboles des partis musulmans. Se promener dans les quartiers chiites vous mettra face à face avec des ayatollahs de tout poil, etc.

Cette appartenance serait charmante, si elle n'était également un enfermement. Il est des habitants de Achrafieh qui ne vont jamais à Beyrouth-ouest, et inversement. Motif ? "They're eat people !", si on en croit les chauffeurs de taxis. Les quartiers les plus touchés par ce descriptif restent les quartiers chiites où le Hezbollah reste extrêmement poulaire. Il paraît (et c'est de source sûre, puisque je le tiens de mon colcataire qui l'a lui-même entendu d'un chauffeur de taxi qui tenait de quelqu'un de confiance qui l'avait entendu dans un milieu dont on ne peut pas douter) que, dans ces quartiers, l'enlèvement d'étrangers à fins de consommation tient quasiment du sport national. Bon, quand vous tapez "enlèement français liban" dans un moteur de recherches, vous ne tombez que sur des affaires datant de 1985, mais la question n'est pas là : Theyr're eat people, et puis c'est tout.

En fait, ce comportement paranoïaque est malheureusement, si j'en crois les libanais que j'ai croisé, révélateur d'un problème plus profond au Liban : on ne se connaît pas. Il y a l'autre", ou plutôt "les autres", vu qu'ils sont dix-sept, mais on ne connaît pas ces "autres" avec lesquels on doit cohabiter. Et quand on les rencontre, c'est le choc : "Quele surprise de découvrir que "les autres" boivent comme nous, que "les autres" dansent comme nous, que "les autres" s'amusent comme nous..."*.

Pesant en ville, ce découpage semble peser sur le pays entier : à l'université chrétienne, on nous demande bien de ne pas aller dans les zones musulmanes (sans nous le dire), même s'il n'y a pas de danger objectif à aller dans ces zones. Certes, dans ce milieu, on ne raconte pas que les "autres" eat people, mais on parle également d'enlèvements, d'interrogatoires, de meurtres... quelle est la part de mythe dans ce récit, et quelle est la part de vérité ?

En attendant de pouvoir répondre à cette question, j'ai acheté un drapeau libanais, et je me demande si je ne vais pas le découper en dix-huit, pour rendre hommage aux coutumes locales. J'envisage même d'écrire sur chaque portion de drapeau "N'allez pas vers les autres : they're eat people !".

*Cf Hala Moughanie in "Danser à tombeau ouvert", Beyrouth XXIe siècle, La pensée de Midi, 2007

Ci-dessus : Beyrouth-ouest selon un habitant de Beyrouth-est. Voilà voilà.

PS : Je ne cherche pas à choquer. Par chance, les situations décrites sont exagérées et caricaturales.

Erratum : Malheureusement, ma mauvaise compréhension de la langue de monsieur S m'a fait faire une erreur qui décrédibilise cet article : mon colocataire vient de me corriger, et on ne lui avait pas dit They're eating people" mais bien "They're hitting people". Comme mon article déviait sur ce thème, je me vois dans l'obligation de vous présenter mes excuses.

Y'a des choses sacrées dans la vie.


Comme vous avez pu le constater à la lecture du titre de cet article, il sera ici question de bouffe. En effet, l'un des sujets de conversation préférés de mes amis à l'annonce de mon départ prochain était : "Ouah la chance, tu vas trop bien manger". A ces personnes, malheureusement pétries d'idées reçues, manipulées, et manifestement totalement ignorantes de la complexe réalité du monde, j'ai envie de dire : Oui.

Bon plan "bouffe libanaise" n°1 : Les manakish, ou Saje. Le man'ouché (wikipedia est ton ami) est un sandwich de pain libanais (pita) dans lequel on peut mettre à peu près tout ce que l'on veut. Les formules les plus populaires sont le labneh (fromage de chèvre qui a à peu près le même goût que de la feta, mais en moins sec), le fameux kafta qu'on ne présente plus, et autres steaks hachés, poulet mariné grillé, fromage.... Le tout accompagné de légumes (tomate, cornichon, olives, maïs, concombre et tutti quanti). Le Saje tire son nom de la grande poële incurvée sur lequel on fait chauffer la galette.

Alternative : on trouve souvent des manakish ne contenant que du Zaatar, un mélange d'épices citronné parfaitement excellent.

Bon plan "bouffe libanaise" n°2 : Le mezze, qui est probablement la formule de repas libanais la plus connue et la plus fameuse. A noter qu'au Liban, vous ne commandez pas un mezze, mais chaque plat séparément. Vous pouvez ainsi déterminer vous même ce que contiendra le mezze. Bien entendu, il contiendra le plus souvent fattouche (salade de pain grillé parfumé au sumac), taboulé, hommos, feuilles de vignes farcies, caviar d'aubergine....

Variante : l'Occident est partout, et j'ai pu voir des libanais ajouter à leur mezze une assiette de frites ou même une part de pizza margharita. Comme quoi....

Bon plan "bouffe libanaise" n°3 : Les snacks locaux. Vous connaissez Mc Donald's, Burger King, Quick, et les libanais aussi. Mais ils connaissent aussi des snacks plus originaux et franchement plus intéressants. Pour le moment, je n'ai entendu que des louanges de Barbar, kébabier de Hamra qui sert des falafels à se damner, et je n'ai pas eu à me plaindre de Malak al Taouk (mot à mot : le roi de la poule, si si), qui sert des sandwiches à base de... poulet et légumes, accompagnés d'une sauce à l'aïl parfaitement correcte.

Je vous parlerai des gâteaux quand j'aurai accumulé une culture plus grande en la matière.

PS à mes amis parisiens : la légende raconte qu'on pourrait trouver un Saje rue de Rambuteau à Paris. Saurez-vous le trouver ?

Ci-dessus : Touriste débile n'ayant pas pensé à chercher un Saje.

Trouver un logement à Beyrouth, c'est.... Beyrouth.

Pour ceux qui n'ont pas suivi mes dernières péripéties, je me suis quelque peu retrouvé à la rue ces derniers jours. Faisant preuve d'une témérité et d'un courage uniquement liés à ma peur de dormir dans la moite rue beyroutine, je me suis donc retrouvé sur le marché de la recherche de logement à Beyrouth.

Avis à tous ceux qui pestent contre la crise du logement française et peinent à trouver leur appartement : vous n'avez rien vu, bande de malandrins. Vous avez l'habitude, vous, de De particulier à particulier, des agences, des forums internet et compagnie. Ici, pour trouver un logement, il y a plusieurs techniques, que je vais vous exposer immédiatement.

- Aller chez le coiffeur. Et je ne parle pas de Jean-Paul Gauthier. Les petits coiffeurs locaux, les boutiquiers, les vendeurs de trucs (le concept du vendeur de trucs est assez simple : vous cherchez un truc, il l'a. Ca va de la lampe halogène au tank de l'armée russe). Ces gens sont des mines d'informations. L'inconvénient étant qu'ils sont un peu trop locaux. Le coiffeur d'en bas de chez moi (connu sous le nom de "Rachid-les-bons-plans-tu-cherches-tu-trouves") n'avait malheureusement qu'un seul appartement à me proposer : le mien. Changement de stratégie.

- Trouver "le type qui loue à tout le monde". Ce type est en général enregistré dans le répertoire téléphonique de la moitié des étudiants étrangers de la fac. Ici, il s'agissait de R., vieux libanais de Beyrouth, parfaitement francophone, qui loue les studios de sa résidence U perso pour arrondir ses fins de mois. R. est terrible en affaires, et serait capable de vous vendre vos lacets en vous faisant croire qu'il vous rend un service. Malheureusement, R. loue des logements d'un standing assez peu prisable (si vous n'aimez pas cuisiner sur une plaque électrique composée uniquement d'une résistance chauffante, ne louez pas à R.). Changement de stratégie, donc.

- Trouver des colocataires. C'est assez simple. Il suffit de poster une annonce sur n'importe quel groupe facebook lié à l'université, de parler de sa situation à deux ou trois personnes, d'aller boire un café et d'attendre les coups de fils. J'ai ainsi trouvé deux colocataires dans la même situation que moi en une demi-journée, ce qui m'a permis de passer à la stratégie suivante.

- Trouver un appartement. Il reste la solution des sites internet, utilisable d'une façon légèrement différente de celle que l'on connaît en France. Voici un exemple basé sur deux dialogues entre un locataire et un propriétaire autour d'une annonce postée en ligne.

Premier dialogue, en France :

-Bonjour madame De La Prutelatiddle, je vous appelle à propos de l'annonce que vous avez postée sur le site rechercheslogementskikoolol.fr, et je voulais savoir si l'appartement était encore disponible.

-Ah non, malheureusement il a été pris ce matin, désolé.

-Bon tant pis, je vais retourner planter ma tente Canal St Martin.

-Alors bonne nuit.

Second dialogue, au Liban :

-Bonjour monsieur Said, j'appelle à propos de l'annonce que vous avez postée sur sympalappartkikoolol.lb, et je voulais savoir si l'appartement est toujours disponible.

-Ah non, malheureusement il a été pris ce matin, désolé, mais je vois justement une annonce dans la rue en face de moi, j'appelle le numéro et je te rappelle dans la journée pour te dire si c'est bien. Sinon appelle ce numéro, ils ont des logements.

-Bon ben merci.

-Bienvenue.

Comme vous pouvez le constater, les loueurs libanais sont globalement gentils.

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Au final, nous trouvâmes notre appartement, en allant sur internet, et grâce une dame qui, manifestement, a plein d'amis qui ont des appartements, mais reste la seule de la bande à avoir une connexion à internet, ce qui lui permet de jouer les entremetteuses.

(ci-dessus : étudiant ayant cherché un logement à Beyrouth)

Edit (deux jours plus tard....) : Le propriétaire de l'appartement que nous avions trouvé ayant déclaré que "Ah ben finalement, ben en fait, ben c'est non, allez vous faire mettre", nous nous retrouvâmes de nouveau à la rue....

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Pourquoi ne peut-on pas boire de Coca au Liban (et autres anecdotes du même acabit)

On ne peut (quasiment) pas boire de Cocnasser.jpga à Beyrouth. Je n'ai quant à moi croisé aucune bouteille de la noëlesque boisson rouge et noire qui fait frémir les bajoues et pourrir les dents des enfants du monde entier. En revanche, on peut, autant qu'on le souhaite, se gaver de canettes de Pepsi-Cola sans se sentir coupable. Venant d'un monde européano-africain grand consommateur de Coca, je me sentais - évidemment - très mal à l'aise dans ce monde violent qui est devenu le mien et où on ne peut même pas retrouver les plaisirs simples de la boisson de notre enfance (ainsi que les kilos qui vont avec) et qui, en plus, est recommandée par le dr Dukan dans sa version "Zéro", contrairement au Pepsi Max qui contient beaucoup plus d'Aspartam (c'est dire si le Coca est supérieur au Pepsi, car comme le dit le vieux dicton : "Le Coca, c'est la meilleure technique pour vous faire sortir Dukan").

Je me suis donc fortement interrogé, gratté les joues, mis les poings sur les hanches et ai cherché une explication logique à la présence quasi-hégémonique de la PepsiCo au Liban. La seule raison à peu près rationnelle tient à l'évènement qui a tenu à peu près le monde entier éveillé pendant la deuxième moitié du XXe siècle (je ne parle pas de la parution de Playboy, mais bel et bien de la Guerre Froide, bande de petits turlupins). En effet, vous n'êtes pas sans savoir que le nationalisme arabe a eu ses proximités avec le Grand Frère russe, et que celui-ci n'aimait pas trop qu'on importât des biens américains, symboles de l'affreuse colonisation culturelle. Adieu, donc, Coca-Cola, Twinkies, fromage en spray et Rick Astley. A la place de l'affreux géant venu de Géorgie (Krouchtchev ayant entre temps découvert le café turc), il fallut importer les boissons du gentil géant venu de Caroline du Nord, ce qui changeait la domination culturelle du tout au tout. Ce qui explique la présence du Pepsi à la place du Coca au Liban. Comme quoi, tout s'explique.

On m'a fait ma remarque sur ce blog (avec une délicatesse toute féminine) : les libanaises ont la réputation d'être des filles de petite vertu. Je ne me permettrais pas de juger de ce fait, et laisse des experts autrement plus compétents que moi donner leur avis sur la question. Néanmoins, une chose est sûre, c'est que Beyrouth est une grande ville de chirurgie esthétique. D'après ce qu'on m'en a dit, une femme sur quatre serait refaite, ce qui représente un ratio supérieur à celui des femmes françaises ne vivant pas au palais de l'Elysée.

La chirurgie esthétique, en plus de permettre d'avoir des grosses lèvres et des gros seins, a également une vertu psychologique, qu'un psychothérapeuthe ne renierait pas. Si j'ai bien compris, les femmes se refont (et le montrent) pour se sentir bien dans leur peau : elles investissent "en elles". Il faut donc qu'elles le montrent. C'est une conception particulière. J'en prends à témoin toutes mes lectrices qui se sont fait opérer : vous vous êtes bien cachées pendant des semaines, prétextant des vacances surprises gagnées par hasard en ouvrant votre boîte de raviolis du jeudi soir ? Ici, outre qu'il n'y a pas de raviolis, les femmes ne le font pas.

Fierté mal placée ou coquetterie extrême ? On montre ses cicatrices comme sa nouvelle robe. Point sur lequel les occidentales n'ont rien à envier aux libanaises. Ca ne m'étonnerait pas qu'on puisse trouver quelque part une boutique de voiles islamiques Dior ou Chanel.

Comme vous le savez, le Liban a traversé divers affrontements. Il existe des moyens simples, sachant cela, de dater les bâtiments. Si la façade de la maison à laquelle vous faites face est plane, et bien peinte, il est fort probable que l'immeuble soit neuf ou presque. En revanche, si vous pouvez y remarquer des petits trous aléatoirement disposés, ne pensez pas qu'il s'agisse là d'une fantaisie d'architecte, inspiré par le renouveau de son art au Bouthan et par l'esthétique "dentelle de pierre", voulant mêler les stucs arabes traditionnels et l'image du moucharabieh à une construction moderne. Non, non, ce ne sont que des impacts de balles.


Ci-dessus : Gamal Abd el Nasser ouvrant le marché du Pepsi en Egypte, ouvrant ainsi la voie au monde arabe.

Home, sweet home

Me voilà arrivé chez moi, enfin. Tout d'abord, je tiens à lever quelques doutes et à détruire un ou deux mythes : je n'ai encore vu personne tuer qui que ce soit, j'ai encore tous mes doigts, et je n'ai pas pris de poids.

Je suis installé, pour ceux que ça intéresse, dans le quartier d'Achrafieh, qui est, si j'ai bien compris, l'un des plus anciens quartiers chrétiens de Beyrouth. Pour l'instant, en dehors de ce quartier, je n'ai visité que Hamra, le quartier qui tire sont de Hamra, la rue (pas très imaginatif, surtout quand on sait que Achrafieh tire son nom de la rue Achrafieh). Hamra est, si j'ai bien compris, la rue à la mode à Beyrouth. Il faut dire qu'il y a de quoi. C'est une espèce de boulevard qui n'a rien à voir avec les rues sinueuses ("méditerranéennes") que l'on peut trouver par ailleurs.

Mais je tiens juste à rassurer dans cette note ceux qui s'en faisaient pour moi : tout va bien, et j'ai trouvé mon "home sweet home".

A bientôt pour de nouvelles aventures.

Comment se faire des amis dans les transports en commun

Une des premières réflexions que je me suis fait vis à vis de Beyrouth est "Paie ta ville d'automobiliste". C'est rien de le dire : il n'y a tout bonnement aucun système de transports en commun. Voitures partout, code de la route nulle part : manifestement les panneaux sont des éléments de décoration.

Pour se déplacer, il faut donc prendre le taxi. "Taxi" étant un terme générique permettant de soutirer au touriste ignorant quelques livres supplémentaires. Je m'explique : le touriste ignorant est, comme on le sait, une créature pétrie d'innocence et de bonne volonté, qui manque désespéremment de sens des affaires. Vous pourrez noter que cette description s'applique également parfaitement à l'étudiant fraîchement débarqué. Le touriste ignorant ou l'étudiant fraîchement débarqués ont tous les deux, en arrivant à Beyrouth, la même pensée : "Paie ta ville d'automobiliste". N'étant pas automobilistes, ils doivent donc prendre un taxi. C'est là que la machinerie démoniaque mise en place par des générations de taximen beyroutis se met en place.

Il faut savoir que les taxis de Beyrouth pratiquent deux types de tarifs. Le premier se met en place quand le client demande un "taxi". Il paiera alors 10 000 livres libanaises (environs 5 euros) pour aller d'un point à un autre. Il aura le privilège de monter seul dans le véhicule et d'écouter Feyrouz. Le second tarif se met en place quand le client demande un "service". Il paiera alors 2 000 livres (soit 1 euro) pour aller du même point au même autre, n'écoutera pas Feyrouz, et devra s'accomoder de la présence d'autres clients que le chauffeur hélera de coups de klaxon incessants (à mon avis, les automobilistes beyroutis pratiquent une forme avancée de morse, basée uniquement sur des coups de klaxon).

Ce tarif peut lui-même varier selon la tête du client. En effet, si le client demande le tarif, celui-ci ira facilement jusqu'à 4 000, 5 000, voire 10 000 livres pour un "service", selon que le client a l'air plus ou moins niais. Le client averti à l'air niais aura alors beau jeu de dire au chauffeur ce qu'il pense de son tarif, celui-ci baissant alors immédiatement à 2 000 livres. En revanche, le client averti à l'air niais aura droit à voyager aux côtés d'un chauffeur passablement énervé de s'être trompé sur la tête du client.

Autant dire que si vous avez l'air con à Beyrouth, vous ne vous ferez pas beaucoup d'amis chez les chauffeurs de taxi.

Où l'on annonce à ses proches son décès prochain

Je l'ai promis, donc je m'y tiens, voici un petit florilège des réactions qui suivirent l'annonce de mon départ au Liban. Pour ne pas leur faire honte, je ne compte pas révéler de noms, mais il me semble important de préciser que certaines des remarques me furent faites par des personnes partant elles-même à Johannesburg (un viol toutes les trois minutes, si je ne m'abuse).

" Tu pars au Liban ? Tu as envie de mourir ? "

" Ah, tu vas au Liban ? L'autre jour j'ai vu un film où des types du Hezbollah arrachaient les doigts d'un occidental qu'ils avaient pris pour un espion, c'était super bien. "

" N'y vas pas : mon frère a fait la guerre au Liban dans les années 80, et franchement c'est terrible. "

" Tu vas voir, les libanaises sont chaudes comme la braise. "

" Fais attention à ne pas trop manger ! " (entendu environs 80 fois)

" Et... ils sont civilisés là bas ? "

" Attention : ils ont bien reconstruit depuis 2006, ils vont pas tenir très longtemps avant de remettre ça ! "

" J'espère pour toi que tu es circoncis, sinon ils vont te castrer !"

" Tu sais, dans ces pays, il y a plein d'imams intégristes qui vont vouloir t'intégrer ! "

" J'aime vraiment le taboulé. "

" En tout cas, tu vas bien manger. "

" J'adore la bouffe libanaise. "

(Je passe sur tous les commentaires sur la bouffe, sinon ce serait trop long)

Et, enfin, dernière remarque de M., qui se reconnaîtra, et m'a un peu rassuré en me disant " J'ai une copine qui a été au Liban, elle ne garde que des bons souvenirs. "

Merci à tous.