jeudi 30 décembre 2010

Broum broum


Il paraît que les beyroutis ont deux vie. La première est banale. C'est celle qu'ils mènent au sein de leur famille, de leur classe sociale, de leur communauté. Elle est, comme dans toutes les sociétés, très codifiée : que dire, que faire, à qui parler, ne pas parler, etc. Parallèlement, ils vivent une seconde vie, au volant.

De ce que j'ai pu en voir, la règle unique est simple : plus c'est gros, plus ça a la priorité. Ainsi, que le feu soit rouge ou vert, un 4x4 Jeep aura forcément la priorité sur une vieille Mercedes. Mais on aurait tort de considérer la "grosseur" de la voiture à Beyrouth en stricts termes de taille. Une toute petite voiture de sport, extrêmement coûteuse, sera de loin supérieure au 4x4 mentionné plus haut, par exemple.

Pour faire valoir sa supériorité (mais aussi pour avoir un qualconque rapport de communication), il existe un outil simple et diaboliquement efficace : le klaxon. Utilisé sur le même rythme, il peut signifier qu'il y a une place libre dans le taxi, mais également que la voiture est prioritaire, que son chauffeur a envie de manger un tawouk, qu'il fait sacrément beau ce matin ou que tu as vu le résultat du match hier putain con il était bien hein. On notera que d'autres usages peuvent être faits du klaxon : pour s'amuser (authentique : une voiture seule sur la route qui klaxonne sans aucune raison), mais aussi (et en ce qui me concerne, bien plus réquemment) pour signifier au piéton téméraire qu'il va bientôt mourir.

Car le statut de piéton est relativement précaire, et se résume également en une seule règle : essaie de traverser entre les voitures. Celles-ci ne ralentiront pas et ne feront pas d'écart pour te laisser passer. Tout se joue comme un poker menteur entre le piéton et la voiture, à qui bluffera le mieux. La voiture tente de faire croire au piéton que sur le chemin de puissance déchaînée et de liberté qui est le sien, un cadavre de plus ou de moins ne pèse rien. Le piéton, lui, doit faire violence à la voiture en lui disant "Même pas cap' de me tuer". Le premier qui cède a gagné cinq secondes et le droit de passer en premier (soit deux privilèges non négligeables).

En dehors des relations voiture-piéton ou voiture-voiture, les relations entre le code de la route et les chauffeurs sont très complexes. D'une manière générale, le code de la route est une entité optionnelle, méchante, ennuyeuse et qu'on est en droit légitime de ne pas respecter. D'autre part, je n'exclus pas que le code soit conçu ainsi : "Article 425 : Tout dépassement de feu rouge est passible d'un retrait de permis de conduire et d'une amende de 250 000 livres libanaises, sauf si le conducteur prend un air excédé et klaxonne de mécontentement avant de dépasser le feu rouge".

Ces deux vies doivent être comprises comme étant strictement séparées. Rentrant de soirée ce week end, j'en fis avec deux amis la triste expérience. Passablement émêchés, nous nous étions jetés avec enthousiasme sur l'offre d'une jeune camarade de nous déposer chez nous dans son véhicule personnel. Cette créature était parfaitement policée, d'un abord sympathique et charmant, bien vêtue et avait une conversation tout à fait intéressante (source : témoignages). Cet abord ne l'a pas empêchée, une fois au volant, de piquer des pointes et des virages en épingle à cheveux à près de 100 km/h, et de slalomer de bonheur sur la route qui -par bonheur- tait vide.

Comme le disait le marin expérimenté : en plein océan, quand un cachalot vient de droite, il est prioritaire. Quand il vient de gauche, il est aussi prioritaire.

Ci-dessus : Rue de Damas, heure de pointe.

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