jeudi 30 décembre 2010

De Monot à Furn el Chebbak, occasion d'une rêverie pédestre dans BeyrouthDe Monot à Furn el Chebbak, occasion d'une rêverie pédestre dans Beyrouth

Il pleut enfin sur Beyrouth. Pas une petite pluie européenne, glissante et désagréable, malhonnête, mais une saine et puissante pluie, violente et brève. Je sors de l'université à l'occasion d'une accalmie. Le sol est trempé. La rue, sale, dégouline de feuilles mortes, mégots, morceaux de papiers, libérés de leurs cachettes par les torrents qui s'abattaient sur la ville un quart d'heure plus tôt.

Monot n'a pas été bouleversé outre mesure par la pluie battante. Quelques vieux ont bien reculé leur chaise de quelques pas pour se mettre à l'abri sous un bout d'auvent, continuant à regarder avec indifférence le bout de rue qu'ils dominent de leur trône improvisé. Les rues pavées sont de vrais coupe-gorges et mes chaussures, traîtresses achetées pour une bouchée de pain, s'amusent à me tendre des pièges avec l'espoir secret de me voir avec une jambe rompue.

Rue de Damas, les choses sérieuses commencent. Si Monot n'avait pas été marquée outre mesure par la pluie, l'axe routier ne semble même pas conscient de l'existence du phénomène. Klaxons de taxis en quête de clients contre klaxons de chauffeurs excédés par les cinq secondes d'attente que le bouchon imprévisible qui vient de se former, me permettant de passer sans trop craindre pour ma vie. Ici, les vieux (ceux qui n'ont pas encore cédé la place) n'ont pas à se reculer pour éviter les gouttes : le conflit qu'ils mènent contre les piétons pour le contrôle du trottoir a tourné en leur défaveur depuis quelques jours.

Puis c'est l'archevêché grec catholique melkite de Beyrouth et de Jbeil (marque déposée), qui dresse sa façade le long de la route. Non loin, les gardiens de la rue de Damas, dans leurs chars d'assaut et camions blindés (dont les canons ont été bâchés pour l'occasion) laissent transparaître ler humanité. L'un regarde les filles, l'air de rien, un autre, perché sur son camion, vide son gobelet de café, deux autres sont en pleine discussion. Le tableau dégage un certain charme, contrastant avec l'austérité de la direction générale de la sûreté générale. Plus loin, sur les marches du Mathaf, ce sont quelques touristes qui se sont assis, profitant à leur tour d'un abri temporaire. Eux ne regardent pas la rue, aspirés dans la consultation des divers prospectus qu'ils ont récupéré dieu sait où. Une nonne, arborant voile et baskets Nike, traverse le rue d'un pas décidé. Marie-Thérèse des Batignolles locale, je me solidarise d'emblée avec le malheureux qui tentera de la faire dévier de son chemin.

Un nouveau bouchon-instantané (made in Beirut) me permet de passer le carrefour du Mathaf, avec les klaxons excédés des automobilistes et le roulement du tonnerre au loin comme bruit de fond. Me voilà à Badaro. Moins austère que son concurrent melkite, l'archevêché syrien de Beyrouth (si, si) laisse entrevoir un assez beau jardin dans lequel j'irais bien m'asseoir un peu. Mais il recommence à pleuvoir, et je marche plus vite, profitant à mon tour des stores déployés au dixième pour éviter les gouttes. Je coupe par un marchand de voiture, « Ahlan ! », oui, je sais, je suis bienvenu, et je le serai toujours dans cent ans. Mais je dois traverser le dernier carrefour, l'occasion de risquer encore un peu ma vie. Je suis à Furn el Chebbak, il pleut maintenant à verses. Plus que cinquante mètres, et je suis chez moi. Je suis trempé, mon bas de pantalon est foutu, mes chaussures glissent. Temps de merde. La prochaine fois, je prendrai un parapluie.

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