jeudi 30 décembre 2010

Complexité palestinienne

Le Liban est, parmi les pays arabes, celui qui a accueilli après la Nakba le plus grand nombre de réfugiés palestiniens. C'est également probablement le pays arabe le moins propice à une immigration massive (tout court) de palestiniens (en particulier). Je me suis demandé pourquoi les libanais refusaient la naturalisation à tous ces réfugiés, dont on sait que le retour en Palestine serait difficile voire impossible (je ne cherche pas à dire ce qui serait souhaitable, rappelez-vous que je ne fais que mettre en lumière certains points à partir des maigres connaissances qui sont les miennes).

Le système politique au Liban est, vous vous en souvenez, basé sur le système communautaire. Ce système a l'avantage d'être efficace en cas d'équilibre entre les communautés, ce qui permet d'éviter une domination totale d'une d'entre elles, comme c'est le cas dans d'autres pays arabes. Depuis les accords de Taëf, on considère que les chrétiens et les musulmans sont à peu près présents à égalité dans le pays, mais aucune des communautés officielles ne détient de majorité absolue (ce qui peut provoquer des lenteurs, mais c'est le prix de la démocratie).

Imaginons maintenant que les réfugiés palestiniens obtiennent la nationalité libanaise, ou le droit de vote. Ces réfugiés sont à 90% sunnites, d'une part, et extrêmement nombreux d'autre part (ils sont estimés à 400 000 en tout, pour une population libanaise de 4 millions à peu près). L'arrivée massive de sunnites provoquerait donc un déséquilibre du système au profit d'une des communautés qui deviendrait dès lors majoritaire au Liban (alors que jusque là le principe était qu'il n'y avait que des minorités au Liban). Dans un pays comme la France, l'existence d'une communauté majoritaire ne poserait en fait pas tellement de problèmes. En effet, le champ politique y est structuré en termes de familles toutes plus ou moins areligieuses (si l'on fait l'exception de certains partis comme les chrétiens démocrates ou des mouvements d'extrême-droite). Mais au Liban, les partis sont confessionels. On peut le regretter ou s'en réjouir, mais c'est un fait. L'exemple de partis à vocation non-confessionelle comme le Parti Socialiste Progressiste de monsieur Kamal Joumblatt ou le mouvement Amal de Moussa Sader seraient des exemples de cette "prédestination" des mouvements politiques au Liban. En effet, chacun de ces partis fut créé sans ambitions communautaires, voire contre le communautarisme, mais est devenu le porte parole d'une communauté (druze pour le PSPS, chiite pour Amal).

Dès lors, une politique nationale au Liban n'est envisageable dans le système actuel que si les confessions sont toutes des minorités (il en serait de même si les maronites, les druzes ou les chiites devenaient majoritaires, il n'y a pas lieu ici de juger d'une soi-disant volonté hégémonique des sunnites).

D'autre part, il ne faut pas sous-estimer le poids de l'Histoire. La guerre civile libanaise de 1975 a eu lieu pour de multiples raisons, et la question palestinienne n'est pas la moindre de ces raisons. La place des résistants palestiniens au Liban (que certains considéraient comme une base arrière pour leur guerre contre l'Etat juif) et les libertés qui leur ont été laissées par certaines factions au Liban (à travers l'accord du Caire, par exemple) ont été de grosses sources de tensions qui ont conduit à la guerre civile (qui peut, de façon extrêmement schématique, être vue comme une guerre entre pro-palestiniens et nti-palestiniens, au Liban s'entend). Si des morts ont eu lieu dans les deux camps (dont le deuil est loin d'être fait), on peut comprendre que les militants de l'ancien bloc anti-palestiniens soient plus que froids à l'idée de faire des palestiniens leurs compatriotes.

Du côté palestinien (les propos à venir doivent être pris avec précaution, étant donné que je ne prétends pas connaître la volonté des palestiniens), le principe du droit au retour comme "mythe fondateur" garde un poids certain. En effet, si j'en crois ce que l'on m'en a raconté, on croise encore des palestiniens ayant vécu la Nakba et qui gardent autour de leur cou la clé de leur ancienne maison, pour ne pas la perdre quand le retour viendra. Si l'on prend les palestiniens comme un bloc homogène, on peut se demander s'ils souhaitent recevoir la nationalité du pays d'accueil. De plus, accepter la sédentarisation des palestiniens dans quelque pays arabe que ce soit est une légitimation de fait de l'exil intolérable auquel les palestiniens ont été forcés de se soumettre en 1948 et 1961, et d'une certaine vision expansioniste et colonisatrice du sionisme. En bref, légaliser les exils d'hier serait légaliser aussi ceux de demain.

Qu'en est-il des droits économiques ? On pourrait se dire que les palestiniens peuvent au moins avoir le droit de travailler au Liban, même s'ils n'y ont pas de droits politiques. Mais on se heurte à deux problèmes, l'un légal et l'autre économique. Le premier écueil est le principe au Liban qui veut qu'on n'accorde de permis de travail aux étrangers que si leur Etat d'origine accepte d'accorder de tels permis aux libanais (amis juristes, ne m'insultez pas trop, je ne fais que répéter bêtement ce que l'on m'a dit). Attendu qu'il n'y a pas d'Etat palestinien, un tel accord ne peut être passé. Le second écueil est plus concret : il ne faut pas oublier que l'ensemble des réfugiés palestiniens au Liban représente près de 10% de la population libanaise. Même en enlevant les inactifs, on obtient un pourcentage conséquent. Intégrer des travailleurs prêts à accepter de plus bas salaires en grand nombre au marché du travail serait (si l'on en croit les théories classiques) dévastateur pour la situation économique des libanais dans leur ensemble : baisse des salaires, dégradation des conditions de travail, montée du chômage.

Il n'est pas évident, quand on est un européen assez candide, de découvrir que le malheur d'un peuple peut être la condition de l'équilibre d'un autre. Cette situation est évidemment injuste, mais il serait tout aussi injuste de faire payer aux libanais la politique d'un Etat dont ils ne sont pas responsables et contre lequel ils sont toujours en guerre. pour reprendre l'analogie donnée par un camarade de fac : supposez que la Suisse sont envahie par l'Italie et que tous ses habitants en soient chassés pour venir s'installer en France, seriez-vous prêts à accepter de les intégrer à la population française, cautionnant ainsi une politique injuste d'expulsion et la dégradation des conditions économiques en France ? Plus concrètement, quand la Turquie a demandé à entrer dans l'Europe, les européens ont majoritairement exprimé leur désaccord, par peur des conséquences économiques et de l'arrivée en Europe d'une population d'une autre religion (théorie du "club chrétien"), et les français, peuple autoproclamé garant universel de la lahissithé et des drouadlom, ne se sont pas fait prier pour s'y opposer durement !

Avouez que c'est dur de donner des leçons d'humanisme à un autre pays quand on fait soi-même la chose qu'on lui reproche....

noeud_gordien.jpg

PS : Encore une fois cet article est incomplet et partiel. Je n'ai pas la prétention de savoir toutes les données du problème et je vous invite à me corriger ou à lancer le débat. Ce que je présente ici est un point de vue que je ne rejoins pas intégralement et qui m'a été exposé.

PPS : Je vous annonce la naissance d'un petit nouveau dans la famille, le blog d'Alexis, Des visages des couleurs, qui est ma foi d'une grande qualité et fort sympathique.

Ci-dessus : un noeud gordien

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